Consacré à la décennie qui vient de s’écouler, le dernier volet de la rétrospective proposée par le Cersaie à l’occasion de son 40e anniversaire n’est pas le plus foisonnant, ni le plus surprenant. Mais il rend compte, au même titre que les précédents, de son évolution… et des tendances sous-jacentes. De 2013 à 2022, ces lancements récents qui appartiennent déjà, à des degrés divers, à l’histoire de la salle de bains.
A chaque salon ses raisons d’être et sa direction. Quels qu’aient été les critères de sélection des produits promus par la Route 40 – dont la vision, subjective, est sans nul doute partielle, voire partiale (et à laquelle nous rajoutons la nôtre) – elle dessine un intéressant continuum. Au gré de ce chemin pas tout à fait linéaire, une évidence s’impose : le marché, en perpétuel mouvement, doit avant tout sa dynamique aux fabricants, épaulés, et parfois même (trans)portés, dans leur quête un brin périlleuse d’innovation, par des designers aux idées plus ou moins rafraîchissantes… et porteuses.
2013-2022 : cette plongée dans la mémoire quasi immédiate du salon – amputée de l’année 2020, Covid oblige, et d’une seconde, 2017, qui ne nous a pas semblé suffisamment méritoire et dit en creux, sans doute, la baisse de l’aura du pôle sanitaire, concurrencé par Milan – n’est pas sans défaut. Fini les réminiscences, jouissives : à de rares exceptions, les produits nous sont familiers. De sorte, à la clôture de cette fertile sélection couvrant quatre décennies placées sous le signe du design, quelques absents émergent parmi les exposants (ainsi que la surreprésentation de certains), mais l’on remarque aussi la montée en puissance ou la mise en sommeil (et même la disparition) d’autres. Pour autant, cycle après cycle, le plaisir de la (re)découverte reste entier !
2013 : Seed (Valdama), Bonola (Flaminia), Topkapi (Effegibi), Elletre (Moab80)
Mine de rien, dix ans se sont écoulés depuis le lancement d’une petite révolution dans l’univers de la céramique. Qui se souvient que presque simultanément à la SaphirKeramik de Laufen (ISH 2013), la firme italienne Valdama lançait Seed (graine, en anglais), une collection de vasques arborant des profils amincis à l’extrême, d’une épaisseur de seulement 3 mm, proposées en blanc et en couleur, déclinés – déjà – dans une finition mate, appelée à devenir tendance, elle aussi (design Prospero Rasulo) ?
Une prouesse technique sur un marché encore largement dominé par la rondeur, en témoignent les formes fluides des vasques Bonola de Flaminia, fabriquées à partir d’une céramique traditionnelle (design Jasper Morrisson).
Au point d’eau, la céramique n’est plus la seule reine : avec ses lignes asymétriques et sa finition nuancée, la ligne Elletre de Moab80, faite de béton, séduit pour son aspect brut, dans la veine industrielle, et illustre le développement d’un matériau alors relativement nouveau dans la salle de bains (design Gabriella Ciaschi).
Mais le pouvoir d’attractivité des matériaux les plus anciens demeure, à l’instar du marbre. La preuve avec le hammam Topkapi d’Effegibi, conçu peu avant sa mort par Rodolpho Dordoni, figure du design italien (en collaboration avec Michele Angelini). Carrare, Botticino ou Marquina, la plus chic des pierres naturelles se marie au verre, à l’acier et au teck de la banquette dans un espace parfaitement équipé (générateur de vapeur, chromothérapie…) qui modernise (et luxurise) le bain turc, avec un sens du détail très poussé, jusqu’au bol en finition cuivrée associé à la fontaine.
2014 : H Pad (Hom), Cloud (Fima), 5 mm (Treemme), Fuji (Scarabeo)
Plutôt que d’ajouter une barre à un radiateur pour en « faire » un sèche-serviettes, Hom suit la logique inverse avec H Pad, une originale étagère murale chauffante en acier laqué, modulable : l’objet épouse le mobilier (et inversement), pour offrir la meilleure des fonctionnalités.
Avec la très poétique douche de tête Cloud de Fima Carlo Frattini, c’est un nuage aux contours asymétriques qui délivre un jet pluie, suspendu par une tige et des câbles en acier, non pas cachés mais affirmés, couleurs contrastantes à l’appui. Récompensé par un ISH Design Plus Award, ce produit mise lui aussi sur le concept du deux-en-un : un éclairage led est intégré, réfléchi par une plaque en verre opaque, qui lui donne des faux airs de plafonnier (design Meneghello Paolelli Associati).
Devenue emblématique du savoir-faire de Rubinetterie Treemme, la ligne 5 mm étonne par sa géométrie ultra épurée, signée Oco Studio. Son nom se réfère à l’épaisseur réduite au maximum de chacun de ses éléments, des commandes au bec. Un challenge technique et une esthétique unique, salués par une moisson de prix (dont un Compasso d’Oro).
Lecture presque inverse chez Scarabeo : les lavabos en céramique à bords épais Fuji se combinent à des consoles métalliques dont la tubulure légère est également déclinée en porte-serviettes. Détail amusant, le cache-bonde coordonné mais surdimensionné, joue la carte du ton sur ton, mais pas celle de la discrétion !
2015 : Nu (Fima), Mizu (Scarabeo), Trumpet (Oli), Sfero (Cordivari)
Nu de Fima sort de l’ordinaire (design Davide Vercelli), animé par un effet gyroscopique, trois têtes de douche étant insérées dans un anneau dont l’axe de rotation est libre, le tout suspendu à un cadre en métal et alimenté par des tubes souples translucide. Une proposition sans précédent, mis à part, peut-être, l’atypique modèle R1671 lancé par Eurorama (design Rigno Frigiolini), intégré par le Cersaie à la sélection 2007 de sa Route 40 (en photo, ci-dessous).
Pour Scarabeo, Emo design brise littéralement les codes de la vasque en céramique : circulaire, la cuve de Mizu est recouverte de deux morceaux identiques qui forment un capot. Celui-ci masque l’évacuation centrale (et la bonde, classique), l’eau poursuivant son chemin à travers l’interstice, comme si la pièce était cassée.
Hommage au jazz sur une partition d’Alvaro Siza Vieira, la plaque de commande de chasse Trumpet d’Oli (dont les produits sont commercialisés en France par Regiplast) se distingue par ses boutons à piston. En ressaut marqué, ces poussoirs fonctionnent sur le même principe que ceux de l’instrument à vent qui a inspiré son nom.
Installé en série ou en solo, le radiateur circulaire Sfere de Cordivari est évidé en son centre. Décoratif, le motif n’est pas « gratuit » : dans cette large fente, se glisse la serviette de toilette (design Simone Micheli). Un design simple, mais malin.
2016 : Aqualite (Newform), Bespoke (Antoniolupi), Dueacca (Verum)
Réflexion novatrice sur l’encastré dans la douche ou au point d’eau, Aqualite de Newform est signée Alberto Apostoli. Que les commandes, minimalistes, soient déportées ou non, des lames lumineuses verticales marquent la salle de bains de leur présence, comme un écho visuel aux jets cascade, synonymes de bien-être.
Modularité est le maître-mot de la collection polyvalente pensée par l’architecte Carlo Colombo pour Antoniolupi. Des modules linéaires aux armoires hautes, les meubles Bespoke offre une grande liberté de composition, ainsi qu’un choix immense de matériaux et de finitions, pour la salle de bains, mais pas seulement, la pièce étant traitée comme un « salon » : une approche globale, qui entend la mettre au diapason du reste de la maison.
Attention, ovni ! Le studio Adriano Design repense le robinet avec Duecca. Fabriqué par la start-up Verum Italy, celui-ci prend la forme d’un cube en acier inoxydable satiné, destiné selon les versions à un usage extérieur ou intérieur (avec mélangeur). Tuyau d’arrosage ou douche murale, toutes les alimentations en eau s’adaptent… Même si l’objet a sans nul doute investi davantage le jardin que la salle de bains, le concept est étonnant.
2018 : Albume (Antoniolupi), Book (Caleido), Settecento (Flaminia), Melograno (Fima), Juta (Arblu), Raw (Brem)
En cinq ans, la famille Albume n’a eu de cesse de s’agrandir, multipliant les associations de couleurs et de matériaux (bois, marbre, métal), avec ou sans rétro-éclairage, sur la base d’un lavabo-totem en résine transparente (Cristalmood) dessiné, à l’origine, par Carlo Colombo pour Antoniolupi.
Reconnaissable à son coin replié comme la page d’un livre, la plaque en acier du radiateur Book imaginée par Marco Piva pour Caleido s’agrémente d’une barre pour ajouter une fonctionnalité bienvenue dans la salle de bains, une certaine poésie de l’objet en prime (IF design Award).
La salle de bains faisant figure de sanctuaire de l’intimité, Giulio Capellini s’inspire des bénitiers des églises baroques : Settecento (le XVIIIe siècle, en italien) de Flaminia est une vasque non pas en marbre comme la plupart de ses modèles ancestraux, mais en céramique, dont le pourtour s’anime de reliefs dynamiques.
Comme autant de grains de grenade (Melograno, en italien), la pomme de douche éponyme dessinée par Davide Vercelli pour Fima compose une spectaculaire grappe de gouttes d’eau en verre soufflé, mises en valeur par un jeu de leds (en collaboration avec Melogranoblu, spécialiste de l’éclairage). Pour le plaisir des yeux (et des économies d’eau), les jets sont eux aussi travaillés, grâce au mousseur Mikado de Neoperl.
Chez Arblu, Juta renvoie à une collection de receveurs, radiateurs, vasques, meubles, plans de toilette… au design coordonné. Référence au tissu, leur finition, modelée dans une résine à charge minérale (Pietrablu), évoque la trame d’une toile qui, texturée, ajoute une dimension sensorielle à la salle de bains, par le toucher.
Dans la veine industrielle qui fait alors un carton, le sèche-serviettes Raw de Brem (design Davide Diliberto) se distingue par sa structure tridimensionnelle évoquant un échafaudage de chantier. Placés à l’horizontale ou à la verticale, ses éléments tubulaires forment une construction aérée, les serviettes trouvant place dans les espaces vides.
2019 : Veletta (Brem), Wave (Simas), Viva Wood (Duscholux), Fade (Alpi)
L’année suivante, c’est encore Davide Diliberto qui hisse haut les couleurs de Brem avec Veletta (voile, en italien). Pliée, la plaque avant de ce radiateur dissimule une zone de rangement pour accrocher peignoirs et draps de bain à l’aide de patères magnétiques. Réclamant un volume moindre, les petites serviettes peuvent être suspendues à la barre qui équipe la façade.
Le bureau de design interne de Simas a conçu Wave (vague, en anglais), une collection de vasques aux formes variées, dont certaines présentent des lignes non pas droites, mais obliques. Inhabituelle, cette géométrie transcrit le mouvement du vent sur les flots, qui façonne l’onde. Ovales, carrés ou rectangulaires, les différents modèles vont de pair avec des consoles minimalistes, des miroirs, des étagères et des lampes en métal noir, dans un esprit atelier.
L’intégration de bois véritable au niveau du profilé horizontal de la paroi coulissante Viva Wood de Duscholux confère un indéniable caractère à la douche. Dans la finition chêne, ce détail instille une note scandinave, qui se marie volontiers avec les façades de meubles pour créer une ambiance chaleureuse (ce qui est rare, l’association se faisant majoritairement avec la robinetterie). Les prémices du style Japandi et des effets claustras ?
Sur un concept original du designer Odo Fioravanti, Fade d’Alpi invite à dématérialiser la douche, qui fait corps avec l’architecture intérieure : seuls des picots translucides, à peine perceptibles, émergent du plafond. Logée dans une box, la partie technique est invisible. La version ultime de l’encastré, dont la « disparition » a été remarquée (Good Design Award, IF Design Award).
2021 : Less is more (Oli), Tessutto (Cordivari), Apollo (Antoniolupi)
Multi médaillée, la plaque de chasse imaginée pour Oli par l’architecte italien Alessio Pinto défend de façon originale le concept du Less is more (littéralement, « moins, c’est plus »), célèbre maxime minimaliste attribuée à Mies Van der Rohe. En lieu et place des boutons poussoirs, l’actionnement se fait « tout simplement » à l’aide de cordons en nylon : mécanisme, geste, esthétique… l’objet échappe aux stéréotypes du genre et affirme sa singularité.
De fils, il est aussi question avec Tessutto de Cordivari, un radiateur sèche-serviettes que Marco Pisati habille d’une trame imitant le textile. Constitué d’un maillage irrégulier, ce canevas vertical fait naître un jeu subtil d’ombre et de lumière à la surface de la matière.
Célébrant l’union holistique de la lumière et de l’eau, la collection Apollo d’Antoniolupi éclaire la douche sous un angle résolument design. Ses formes pures sont dues à Brian Sironi.
2022 : Brasilia (Caleido), Luxor (Arbi), Soul (Disenia), Secret Garden (Devon&Devon)
Pour Caleido, l’architecte Massimo Iosa Ghini a « bâti » Brasilia, un radiateur éco-conçu et accessoirisé (avec barre porte-serviettes, crochets et anneaux). Pour le fondateur du mouvement artistique Bolidismo, qui fut aussi un membre actif du courant Memphis d’Ettore Sottsass, « ce n’est pas seulement un produit, c’est une pièce d’architecture, une sculpture en dialogue permanent avec la lumière qui dessine ses profils alternés en aluminium extrudé dans un jeu d’ombre et de lumière. » Ce qui est beau (design), s’efforce ici d’être bon (performant), y compris pour l’environnement : recyclable, la matière qui le compose presque à 100 % lui vaut déjà une belle récompense (Green Good Design Award 2023).
En association avec les volumes étagés de la vasque (et de la baignoire îlot) Roman, en solid surface blanc mat, la ligne Luxor d’Arbi invite à agencer la salle de bains avec des meubles suspendus dont la façade est cadrée de métal. Au point d’eau, ces « profilés » déclinés dans un large panel de finitions, sont à assortir à la robinetterie autant qu’aux matériaux et textures proposés en façade. Bois lisse ou strié, grès cérame, laminam, résine texturée… tous les effets de style sont permis !
En solid surface blanc mat à l’intérieur de la cuve, la baignoire îlot Soul de Disenia, marque d’Idea Group, affiche des rondeurs parfaites, dans un diamètre réduit. Côté personnalisation, le nuancier RAL s’ajoute à la palette des coloris standards pour créer des espaces uniques. A noter : en épousant le galbe de son bord fin, une tablette géante crée une plage de dépose et peut servir d’assise. Des caractéristiques qui, à l’exclusion de la couleur, ne sont pas sans rappeler celles de la baignoire Origin d’Inbani, lancée en 2016, et plus compacte encore (design Seung-Yong Song).
Sorti de l’esprit anticonformiste du designer Marcel Wanders, qui d’autre que Secret Garden de Devon&Devon pouvait refermer la boîte à souvenirs du Cersaie, à l’aube de sa 40e édition ? Le concept, très haut de gamme, n’est assurément pas de ceux à inonder le marché. Mais, en dupliquant le décor mural sur les façades d’une coiffeuse par une étrange mise en abyme, cette collection réalise la fusion parfaite entre le revêtement et la salle de bains, les deux spécialités qui font la spécificité du salon de Bologne.
Photos : ©fabricants et Wikimedia Commons.