Emblématiques des années 1950-60, les clôtures en béton ajouré se réinventent à l’intérieur, où les briques en terre cuite ou céramique émaillée s’empilent pour créer des cloisons. Laissant passer la lumière tout en protégeant l’intimité entres les espaces, ces paravents décoratifs passent du jardin à la salle de bains, intégrés aux collections de carrelage.
L’usage premier de ces éléments, pour délimiter les propriétés ou les patios, est aujourd’hui largement détourné, dans toutes les pièces de la maison. La salle de bains s’empare à sa façon de cette tendance architecturale, dans une veine qui s’inspire également des moucharabiehs orientaux. A l’instar de ces cloisons ajourées et autres fenêtres grillagées permettant une ventilation naturelle tout en préservant du regard et en tamisant la lumière, les claustras actuelles permettent d’apporter une certaine intimité, façon jalousie. Sous nos latitudes, elles sont plutôt mises en œuvre pour définir des zones sans complètement les enfermer. De fait, en anglais, ces éléments de construction se nomment « breeze blocks » ou encore « screen wall blocks », termes qui associent à ces parpaings tout sauf pleins la notion de d’aération ou de brise-vue. Photo d’ouverture : Tetra Straw (Ape), Split (Sartoria), Castello et Piqué (Harmony), Jali et Hives (Mutina).
Laissant donc passer l’air et la lumière, ces cloisons modulaires ne se contentent pas d’être fonctionnelles. Les diverses formes et matériaux proposés par les fabricants – dont ceux de carrelage, et non des moindres, qui se sont vite engouffrés dans le filon en parallèle de spécialistes tels que Ceramica Ferres – ont aussi, plus que jamais, une valeur décorative. La brique en terre cuite, non gélive, ne s’impose évidemment pas à l’intérieur pour ses qualités intrinsèques : ce produit, artisanal, véhicule une image méditerranéenne, authentique et chaleureuse, qui vaut également lorsque la céramique est vernissée, évoquant alors les zelliges, dans des déclinaisons colorées. Ces deux matériaux et finitions se marient d’ailleurs de plus en plus, l’aspect brut de l’une mettant en valeur la brillance de l’autre. Idem pour le béton qui, au-delà de sa résistance et dans une tendance quasi opposée à la terre cuite, séduit pour son côté épuré, d’une modernité plus radicale, dans des gris neutres, pour ne pas dire froids. Photo ci-dessus : Piqué (Harmony) et A Piedi (Ape).
Un type de structure, une infinité de motifs
Ces blocs évidés arborent également des motifs pleins de personnalité, qui reposent sur toutes sortes de géométries savantes. La plupart de celles-ci portent d’ailleurs la signature de prestigieux designers. Avant de livrer Jali (voir photo d’ouverture), Patricia Urquiola a ouvert le bal avec la bien-nommée Celosia (jalousie, en espagnol) chez Mutina. Véritable matrice de la tendance, cette collection avait d’ailleurs été intégrée avec brio par Van Avedissian, vendeur conseil chez Mattout Carrelage à Marseille (Richardson), dans l’un de ses projets concourant en 2022 à la 3DCup (mention spéciale du jury). Mutina, qui multiplie les collaborations sur le sujet, a fait plancher les frères Bouroullec (Bloc), Nathalie du Pasquier (Brac), Konstantin Grcic (Hives), Barber Osgerby (Mistral), Vincent Van Duysen (Renga)… Chez Harmony, c’est Estudi{H}ac qui a dessiné la collection Piqué et le studio Dsignio la collection Castello qui, en argile, explorent avec brio les volumes, aménageant des perspectives à l’intérieur des modules, traités comme des prismes.
Tour à tour, ces créatifs ont redéfini (et continuent à le faire) des codes esthétiques dans les formes, les couleurs, les textures, les effets tactiles, la possibilité de jouer sur les pleins et les vides avec des pièces spéciales, pour les combler… ou pas (Bloc de Mutina). Les styles du passé peuvent être aussi revisités comme Split de Terratinta (collection Memorie) dont les fines arabesques ne sont pas sans rappeler celles de l’art Nouveau. Voire se référer à du biomorphisme quand elles reproduisent les cellules hexagonales façonnées par les abeilles au sein de leur ruche (Hives de Mutina) ou des sortes d’excroissances végétales (Norfeu de Ceramica Ferres)…
Liberté de composition
Le calepinage peut aussi décupler ces motifs, par des changements de sens, à l’instar des grilles que propose par exemple Carodeco avec Modulo, décliné dans six assemblages aux contours (et aux noms) évocateurs : trèfle, nuage, cygne, cœur, chemin et capsule. Outre les réponses apportées aux besoins d’agencement, avec des modules sagement alignés ou au contraire en épi, voire courbes et assemblables en charnière à la manière d’un paravent (Curtain d’Exagres), les compositions sont aussi plus ou moins dynamiques selon l’installation en elle-même.
Pour d’autres, ce ne sont pas des blocs évidés en leur cœur, mais des briques aux lignes non rectilignes qui permettent de conjuguer habilement construction et décoration, dans une certaine liberté de composition. Avec sa collection Icon (design Summum Studio), Wow propose par exemple des pièces en grès qui, minimalistes, allient simplicité et légèreté. Sur un principe voisin citons aussi Mistral, collection de Barber Osgerby, et Renga de Vincent Van Duysen (dont seule l’âme centrale est évidée), au catalogue de l’incontournable Mutina. C’est aussi une brique bicolore creuse, aux contours irréguliers, qui sert cette tendance chez Ape Grupo, dans la collection A Piedi (Occhiata).
Les claustras sont tellement en vogue que leur principe est en train de devenir un motif, à proprement parler. Des carreaux muraux pleins, en léger relief, commencent à en imiter les motifs, devenus iconiques : Terracota de Keraben (Cevisama 2024) nous évoque immanquablement Celosia de Mutina. Photo ci-contre : Curtain (Exagres), Icon (Wow), Celosa (Mutina) et le carrelage Terracota (Keraben).