Monique Eleb, chercheur au laboratoire Architecture, culture et société de l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, s’intéresse aux différents modes de cohabitation qui émergent depuis plusieurs années. Nous avons voulu savoir comment la salle de bains était partagée. Interview.
Sdbpro.fr – Cohabitation et colocation, c’est pareil ?
Monique Eleb – Non, c’est diffĂ©rent. Quand on cohabite, c’est dans un mĂŞme logement, entre personnes qui se sont choisis pour vivre ensemble sur des temps longs. Si la cohabitation est parfois imposĂ©e, par exemple quand on retourne vivre chez ses parents, elle peut ĂŞtre aussi voulue et organisĂ©e pour durer, par exemple dans le cadre d’une famille recomposĂ©e. C’est aussi souvent, pour les personnes âgĂ©es, une alternative Ă la maison de retraite. Et l’on peut aussi cohabiter pour mettre en question les normes sociales et dĂ©montrer qu’on peut vivre autrement. La colocation, elle, est Ă©phĂ©mère. Elle concerne surtout les jeunes et les Ă©tudiants, qui ne se choisissent pas toujours.
Comment cohabite-t-on ?
Monique Eleb – Il y a plusieurs manières de cohabiter. On peut dès le départ négocier et fixer des règles, qui sont parfois écrites. Mais ces règles peuvent aussi se mettre en place de manière tacite. Dans les deux cas, il s’agit de partager et d’organiser l’espace. C’est une question de savoir-vivre, d’attention aux autres et d’adaptation. Mais cela ne suffit pas toujours. Pour cohabiter, il faut tenir compte des autres et cela n’est pas si facile. Partout, chacun arrive avec ses habitudes, qui sont héritées de sa culture familiale. Il est parfois nécessaire de rappeler les règles, quand certains se comportent comme s’ils vivaient tous seuls et envahissent le territoire des autres. Dans une cohabitation, tout le monde est au même niveau, en principe, car l’égalité est la première règle à observer. Et l’on n’aime pas que quelqu’un déroge à cette règle.
Ça se passe comment entre parents et enfant ?
Monique Eleb – Quand on revient chez ses parents, les habitudes reviennent aussi. Comme des éléments de répétition. Tout est fait pour qu’on régresse, et il est difficile de ne pas se remettre dans la règle de la maison. Ainsi, les parents n’acceptent pas que les enfants devenus adultes ne lavent pas la baignoire ! En règle générale, dans toute cohabitation, chacun doit faire sa part de ménage, en particulier dans la salle de bains… A ce titre, la cohabitation est toujours plus difficile avec les post-adolescents, qui ont tendance à laisser les choses traîner, à ne pas nettoyer tout de suite.
Comment la salle de bains est-elle partagée ?
Monique Eleb – Lorsqu’il existe deux salles de bains dans le logement, elles sont dissociées en fonction des genres, l’une étant réservée aux femmes, l’autre aux hommes. Si la maison possède deux niveaux, la division homme-femme se fait au niveau des étages. Dans tous les cas, il est admis que l’on rentre et sort de la salle de bains sinon habillé – vêtement de jour ou de nuit – du moins couvert, ne serait-ce qu’avec une serviette de bain. Souvent, c’est le temps qui régule l’intimité : on connaît les horaires des colocataires ou cohabitants, et l’on s’organise pour ne pas les rencontrer, en utilisant la salle de bains de manière décalée.
Est-ce qu’on laisse ses affaires dans une salle de bains partagée ?
Monique Eleb – Dans l’habitat partagĂ©, on se balade souvent avec ses affaires de toilette. Les salles de bains sont petites et ne possèdent pas ou peu d’étagères. Mais au-delĂ de la place disponible, il y a la crainte que les autres puissent se servir. Donc on Ă©vite d’y laisser des choses prĂ©cieuses, mais aussi banales : certains ne laissent mĂŞme pas leur brosse Ă dents dans la salle de bains.
Quelle est la salle de bains idéale pour la cohabitation ?
Monique Eleb – Il n’y en a pas. La seule solution idĂ©ale, c’est une salle de bains par personne, liĂ©e Ă la chambre, comme dans les rĂ©sidences Ă©tudiantes d’aujourd’hui. Dès qu’on vit ensemble, les mĂŞmes questions se posent : la temporalitĂ©, la tenue, l’intimité… En couple, on finit par s’accepter, mais dès qu’il y a rupture, on ne veut plus partager l’intimitĂ©. Sinon, une grande salle de bains a l’avantage de permettre de laisser ses affaires, Ă condition que chacun dispose d’un rangement qui ferme.