Sollicité par Duscholux AG, Joël Luc Cachelin [*], futuriste Suisse et fondateur de la Wissensfabrik – ou Fabrique des savoirs –, a livré sa vision de la salle de bains de demain. Accessible, elle contribue au suivi de notre état de santé, mais ne doit pas manquer d’être un lieu de rendez-vous avec et pour soi-même.
Duscholux – La salle de bains occupera-t-elle toujours le même espace dans l’habitat de demain ?
Joël Luc Cachelin – Il est même possible qu’elle gagne en importance. C’est lié à la densité de notre quotidien, à nos emplois du temps minutés. Nombreux sont ceux qui passent toute la journée en réunion et s’occupent avec leur smartphone pendant les pauses. La salle de bains, en revanche, ouvre un espace de réflexion. C’est là que nous commençons et terminons la journée, que nous la planifions ou la repensons en se brossant les dents ou en se douchant. Nous choisissons une devise, une attitude ou une pensée avec laquelle la démarrer ou l’achever. Pour que la salle de bains puisse être un lieu de réflexion, l’éclairage et les matériaux jouent un rôle important.
Duscholux – Quel sera le rôle de la salle de bains du futur ?
Joël Luc Cachelin – La salle de bains restera un lieu d’hygiène, où nous nous laverons et nous débarrasserons – d’autant plus depuis la pandémie – des virus et des bactéries. La toilette a en outre un caractère émotionnel et d’introspection. Dans le langage informatique, on pourrait parler d’une défragmentation. Nous libérons de l’espace pour de nouvelles expériences, de nouvelles connaissances et de nouvelles pensées. À cela s’ajoute une troisième fonction. Je pense que la salle de bains du futur sera aussi une sorte d’antichambre au cabinet médical. Ce rôle va s’accroître avec le développement des solutions de télémédecine.
Duscholux – La digitalisation va-t-elle changer la salle de bains du futur ?
Joël Luc Cachelin – Oui, cela vaut en particulier pour les solutions de télémédecine évoquées. Nous pouvons par exemple intégrer des WC ou des miroirs intelligents qui contrôleront notre santé. Ils analyseront nos fluides corporels ou nos yeux, qui sont des biomarqueurs de notre état physique et physiologique. Ces examens aideront à protéger notre santé individuelle, mais serviront aussi de système d’alerte pour la société, par exemple pour étudier l’évolution des pandémies quasiment en temps réel. Ils pourraient alerter sur les résistances aux antibiotiques ou servir à détecter les symptômes de la solitude, considérée par certains experts comme une autre sorte de pandémie. En outre, les miroirs intelligents pourraient être utiles dans le cadre de la luminothérapie – par exemple contre les virus, la fatigue ou les problèmes de peau.
Duscholux – Comment le thème de la durabilité va-t-il influencer la conception de la salle de bains ?
Joël Luc Cachelin – Diverses aides techniques vont aider à l’avenir à économiser l’énergie et l’eau. Les matériaux vont offrir une toute autre dimension de durabilité. Au lieu du béton, on utilisera du bois ou des matériaux de construction recyclés, comme le PET ou les écorces de fruits séchées. Les produits fabriqués à partir de ces matériaux seront emboîtés et non plus amalgamés ou collés. Des bibliothèques de matériaux recenseront chaque élément de construction. Il sera ainsi possible de les rechercher de manière ciblée et de les réemployer. Ces deux aspects sont décisifs dans la perspective de l’économie circulaire. À l’avenir, de plus en plus de personnes demanderont une salle de bains végétalienne, c’est-à-dire qui ne fait appel à aucune matière animale.
Duscholux – La tendance au bien-être se maintiendra-t-elle dans la salle de bains du futur ?
Joël Luc Cachelin – Absolument. Le passage dans la salle de bains est souvent une pause. Nous devrions donc bien réfléchir à la pertinence de la digitaliser à outrance. De ce point de vue, je reste critique sur cette habitude que nous avons prise de consulter aux toilettes les médias sociaux ou le cours des cryptomonnaies. La salle de bains du futur devrait être une oasis hors ligne. Un lieu où nous ne sommes pas joignables et où nous avons un peu de temps pour nous. En 2050, il y aura 70 % de retraités en plus. C’est pourquoi il faut de plus en plus envisager le bien-être de leur point de vue. Cela concerne l’accessibilité, par exemple. Construire durablement pourrait donc signifier anticiper les besoins de la vieillesse – pour que l’on ait moins à déménager et à transformer.
[*] Dr Joël Luc Cachin est, explique Duscholux, l’un des principaux penseurs numériques de Suisse. Il conseille et accompagne les entreprises sur les enjeux d’avenir de manière interdisciplinaire, multimédia et indépendante. Il a fondé la Wissensfabrik et publié plusieurs livres sur l’innovation et la pseudo-innovation, le rapport entre l’homme et la machine…
Entretien réalisé au mois de mars 2022, repris ici avec l’aimable autorisation de Duscholux AG et Georg Baumewerd.
Photo : Carlos Meyer.