Au Cersaie 2021, les feuilles de palmiers fleurissaient sur les carreaux. Si l’exotisme s’avère luxuriant depuis plusieurs années, cette veine tropicale célèbre la nature sauvage de mille manières, auxquelles le cliché paradisiaque, omniprésent, ne fait pas écran. Traversée de cette jungle où prolifère, dans l’ombre des cocotiers, d’autres tendances, ramifiées.
Durant la grand-messe 2021 du carrelage, pas un stand (ou presque) qui n’ait mis en culture les motifs botaniques, la couronne du plus iconique revenant sans conteste à la palme (au sens large du terme). Le motif le plus vu, mais aussi le plus travaillé, sujets à moult digressions dont les ramifications ne manquent pas de sève… Bananier, anthurium, frangipanier en fleur et autres oiseaux de paradis, feuilles pennées ou palmées, tige ligneuse ou houppier… Dans tous les sens du terme, le carrelage secoue le cocotier !
Du vert au verre ?
Une telle invasion de végétal revenant à transformer l’intérieur en une serre tropicale, la salle de bains devrait acclimater cette tendance chaude et humide. De là à imaginer des carreaux capables d’imiter les verrières façon jardin d’hiver, il n’y a qu’un pas, franchi de manière originale par Ornamenta et Panaria, avec des rendus stupéfiants. Le premier (re)montrait son décor Window (collection Ceramic Wallcoverings, 60 x 120 cm) qui donne à voir des pointes de feuillages exotiques derrière un vitrage de carreaux opacifiants mastiqués de noir, tandis que, chez le second, des plantes d’eau sont révélées au travers des pavés de verre structuré du nouveau décor Reflex, que l’on dirait traversé de lumière (collection Zero.3 Glam, 50 x 100 cm).
La nature à la verticale
Ces deux mêmes fabricants (et collections) sont également l’occasion de mesurer combien la notion de mur végétal – exempt d’entretien, y compris au niveau des joints s’agissant en majorité de dalles XL – a fait florès ces dernières années. En témoignent le décor Greenwall chez l’un et Earth chez l’autre, qui ne manquent pas de profondeur grâce à un enchevêtrement savant de plans… et de plantes, dans la lignée du fameux Secret Garden dévoilé il y a trois ans par ABK, avec ses fougères déployées en corolle… qui ressemblaient déjà à des têtes de palmier renversées (collection Wide&Styles, jusqu’en 160 x 320 cm).
Grossofolie
Peu importe l’échelle, le motif ne se contente pas d’imiter pas cette nature foisonnante, il lui rend hommage, à l’instar du décor Visaya chez Ape, dont les végétaux sont aussi XXL que le format (collection Atelier, 120 x 260 cm). Ou, plus surprenant encore, le décor oversize placé à l’entrée du stand Geotiles Ceramica, qui présentait l’exotique verdure sous une clairevoie inédite que d’aucuns compareront à la grille d’un jardin botanique titanesque, matérialisée par une série de rayures verticales d’un noir laqué (collection Tropic, 60 x 120 cm).
L’esprit tapisserie
Les grands formats jouant avec facilité la carte du all over, le carrelage à palmes ne se prive évidemment pas d’empiéter sur le territoire graphique du papier peint, avec des propositions qui ne misent plus sur le réalisme mais sur la répétition et une stylisation poussée du trait, dans une mise en scène épurée ou saturée.
Certains fabricants ont par exemple opté, comme Ape, pour un effet tapisserie au chic classique et discret, avec un camaïeu de palmes beige et olive sur fond de très fines rayures cette fois (collection Tonality, décor Wallpaper Tide, 60 x 120 cm). D’autres ont misé au contraire sur la modernité apportée par un choix de couleur plus marqué, à la manière des décors Sunset chez Energy Ker, aux palmes bleues, et Sunrise, le même décliné dans les tons chauds mêlant brique, brun et blanc (collection Wall Art).
Ce sont les couleurs du moment, que l’on retrouve également mêlées de vert, comme dans le feuillage mordoré d’Autumno de Gigacer (collection Tele, 60 x 120 cm) et le spectaculaire décor Foliage, chez Kerlite, à la texture travaillée dans les moindres détails, avec des rehauts de noir intense (collection Wonderwall, 50 x 100 cm). Ressemblant au papier peint gaufré d’antan, Herbarium était décliné par Cir dans une palette de tons actuels tel que l’ocre, dont la glaçure en relief contraste avec un fond marron qui évoque les nuances du cuir ancien (collection Chromagic, 60 × 117,5 cm).
Exquises esquisses
Dans l’une de ses voies les plus intéressantes, cette stylisation du motif va jusqu’à l’esquisse. Cette tendance arty prend diverses formes. Entre autres, celle d’un lavis monochrome chez Fioranese, avec des rinceaux tracés au pinceau dont les dégradés de vert ou de bronze incarnent une saison spécifique, procédé très en vogue cette année (collection Clorophilla, décors Primavera et Autumno, 120 x 260 cm). A noter que cette gamme existe aussi en 20 x 20 cm (pour sol et mur), format moins usité pour exprimer ce motif, assez rare mais vu aussi chez Elios Ceramica (collection Memory, décors Jungle, Rio ou Spring).
Ce rendu aquarellé est également exploré chez Supergres, avec le décor polychrome Cherry Tropical (collection Your Match, 50 x 120 cm), tandis que Love Tiles travaille un jeu de motifs pleins et vides avec son Tropic (Collection Gravity) et que Marco-Corona présente son décor Foliage, aux subtils dégradés de verts et de bleus tendres (collection Multiform, 40 x 80 cm), un ton plus foncé avec le White Jungle Touch chez Marazzi (collection White Deco, 60 x 180 cm). Du bleu et du vert, encore, chez Imola, avec le décor Natural DK dont les feuilles de bananier constituées de grands plats de couleurs contrastantes ont des allures de nature morte cubiste aux lignes géométrisantes (collection Azuma Up, 60 x 120 cm), alors que Vasily d’Ape mise sur un effet collage plutôt pop, servi par une palette pastel (Collection Atelier, 120 x 260 cm).
Un point commun émerge parmi toutes ces propositions : la plupart présentent des motifs partiellement glacés, à la manière des vernis sélectifs utilisés par les imprimeurs pour faire ressortir certaines zones. Cette technique, basée sur une troisième cuisson, trouvait toute son expression cette année, en particulier chez Fap qui jouait de cet effet de matière 3D mat/brillant avec brio, que nous avons choisi d’illustrer par la collection Tropical Ibisco (80 x 160 cm).
L’art sous toutes ses techniques, et pas seulement picturales, inspire le carrelage. Dans sa gamme-phare Wide & Style, ABK a exposé le décor Hollywood de sa collection capsule Black & Shine (120 x 240 cm) : sur un fond blanc dépouillé, cette palmeraie que l’on dirait extraite d’une gravure géante ou tout droit sortie d’une planche de l’Encyclopédie est à mettre en perspective avec le décor Palmeta, moins épuré, proposé par Rondine (collection Ludo, Ceramic Wall, 60 x 120 cm), lui aussi noir et blanc, ou le décor Myfair Grey de Serenissima (collection Materica Showall, 60 x 120 cm).
Des liens et des lianes
Quand elles n’occupent pas le devant de la scène, les palmes colonisent les grandes familles actuelles de carreaux, cassant les codes des « incontournables ».
Du marbre d’abord, repéré chez Ape avec Fragrant Calacatta (collection Calacatta Slow, 40 x 120 cm) et chez Art by Sichenia où le noir type Marquinia, ultra brillant, est éclairé de veines argentées façon miroir, que l’on dirait presque zébrées (collection Tropical, décor Saint Laurent, 59 × 117,5 cm). Le décor Jungle Rust d’Ornamenta s’en rapproche avec ses palmes de rouille, autre tendance de fond (collection Ceramic Wallcoverings, 120 x 240 cm).
Le végétal s’invite partout et s’épanouit aussi bien dans ce registre précieux que dans celui plus brut de la pierre naturelle. Chez Cercom, les feuilles du décor Ferns Black sont rehaussées de coups de pinceaux bruns et argentés en léger relief (collection Absolute Stone, 120 x 120 cm). De même chez Edimax Astor avec le décor Sage DEC qui s’efface en surface, comme une trace patinée par l’usure, autre tendance forte (collection More), vue aussi chez Mainzu (collection Cinque Terre, décor Tahiti White, 20 x 20 cm) et Azteca, avec Palm R90, à la limite de l’effacement (White Matt, 30 x 90 cm).
Les carreaux typés béton n’y échappent pas, notamment chez Gambini (collection Unika, décors Gatsby Ice ou Sand, non présentée en photo) ou le mélange carreaux de ciment sur fond de pierre naturelle et de végétaux de Fontana Mix chez Colorker (collection Verona, 31,6 x 100 cm). Enfin, dans cette revue de « matériaux » prompt à nouer des liens (et des lianes) avec la tendance jungle, notons aussi la proposition originale sur un fond de brique repérée chez Eikon dans une miniaturisation originale du motif, réduit à quelques centimètres (collection Argile Nobili, 30 x 30 cm), l’aspect terre cuite étant un autre thème fort dans les revêtements.
Illustrations : les mosaïques de photos sont présentées dans l’ordre du texte, et se lisent de gauche à droite et de haut en bas.