En design, le dernier régime à la mode ne fait plus l’éloge de la minceur. Avec la tendance Bold, le corps des vasques, et tout particulièrement celles en céramique, s’arrondit, leurs contours se fluidifient pour gagner en rondeur, marquant le retour en grâce des pièces à bord épais et rebondi, façon Bibendum.
Pour comprendre le phénomène, il faut observer son contraire et remonter un peu le temps. L’introduction de la céramique à profil aminci sur le marché date de 2013, à porter au crédit de Laufen, avec la présentation des premières vasques en SaphirKeramik sur ISH, où leur minceur inédite fait sensation. D’une dureté accrue (car enrichie en corindon), cette recette 2.0 déclenchera l’éclosion, relativement rapide et tous azimuts, de modèles aux parois fines et aux lignes tendues, jusqu’alors réservées au solid surface ou à l’acier émaillé. S’affranchissant des limites d’antan grâce à une meilleure résistance mécanique, le design s’autorise enfin des formes anguleuses et des arrêtes vives. Débridée, la créativité des marques contribue à remettre la céramique sur le devant de la scène, à nouveau synonyme de modernité.
Adoptée (et adaptée) par la quasi-totalité des fabricants en l’espace d’une décennie, cette innovation n’a plus rien de révolutionnaire aujourd’hui. Les rayons minimalistes sont devenus la norme au point d’eau, où la céramique ultra light n’est plus un signe distinctif. Ayant sans doute atteint son point ultime, la course à la finesse s’essouffle…
En caractère… gras
La collection Liquid de VitrA a pris la première le contrepied des standards récents à son lancement, fin 2021 (photo ci-contre et en ouverture). Pour incarner sa différence, elle fait l’éloge de la rondeur, signant le début du retour en grâce du gras. Vasques, plans de toilette, cuvettes, urinoirs, accessoires et même robinetterie assument des courbes généreuses, sans équivalent. Original et cohérent, cet univers de salle de bains doit beaucoup à son designer, le britannique Tom Dixon, en résonance directe avec ses créations pour la maison, à l’instar par exemple de son fauteuil Fat (gras, en anglais, renvoyant à son épais dossier courbe, en mousse tubulaire)[1].
Effet boule de neige
Le caractère unique – et en cela difficile à varianter – de Liquid lui vaut d’être le point de départ d’une boucle divergente. Son parti-pris pour une céramique plus charnue trouve actuellement écho dans diverses créations. Sans copier, le contour dodu de la vasque Lalita de Globo (2022, design angelettiruzza) comme le cordon ourlant le modèle Brera chez Art Ceram (2023, design Meneghello Paolelli) suivent cette veine généreuse. De même, les plis qui se multiplient sur la vasque ovale Spire de Flaminia (2022, design Elena Salmistraro) évoquent pêle-mêle des ricochets à la surface de l’eau ou des bourrelets sur une peau distendue (photos en ouverture).
Preuve que le design pulpeux est tendance, notons que les pourtours incurvés ne se cantonnent pas à la céramique, mais intéressent aussi bien le solid surface (Ease d’Inbani, 2023, Note Design Studio) que l’acier émaillé (Bettecurve shell de Bette, 2023, design Tesseraux + Partner), à mettre en parallèle avec la ligne de la vasque du totem Vigno de Hafro Geromin (2023, design Antonio Bullo et Andrea Rosset, photo ci-dessus). Au travers de cette tendance sculpturale, pour ne pas dire plastique (dans le sens artistique du terme), les matériaux jouent à se ressembler au point qu’il n’est pas toujours aisé de les différencier sans les toucher… La vasque Orbe de Trone (2024) sort par exemple du lot avec des volumes dilatés au maximum jusqu’à figurer une sorte de bouée, l’eau glissant sur ses parois replètes. Faisant la part belle à la céramique, cette couronne hypertrophiée a des airs de famille avec celle molle, en polypropylène, par laquelle la marque Boing explorait, il y a vingt ans, un registre plus pop, ludique et flashy (2003, design Vicente Blasco et Zyxtudio Diseño e Innovación S.L., encore vendue par Ever Life Design, notamment, photo ci-dessus).
Un éternel recommencement
A y regarder de plus près, les produits sanitaires bien en chair ne datent pas d’hier. Les influences se croisent, enrichissant le dialogue permanent entre passé et présent. De ce point de vue, forte d’une identité exclusive, Liquid n’est pas pour autant sans fondements ni ascendance. Son concepteur place lui-même sa collection dans la filiation du style victorien, puisant une partie de son inspiration dans les lavabos colonne 1900 en céramique et les baignoires en fonte à bord rebondi dont les archétypes n’ont jamais eu de cesse d’être réinventés avec, pour n’en citer que deux dans ce registre de charme actuel, la baignoire et la vasque Ottocento d’Agape (2009, design Benedini Associati) ou la gamme de lavabos à dosseret de Bleu Provence, actualisée et déclinée aussi depuis peu en version à poser, True Colors Lite (2022, design Emanuelle Pangrazi).
Tom Dixon se remémore aussi « les gros robinets épais et leurs gros tubes » de l’Angleterre de son enfance. Sa vision, singulière et personnelle, se nourrit en parallèle de références arty et design. Conscientes ou inconscientes, celles-ci contribuent à valoriser une culture de la salle de bains, pièce qui, bien que relativement jeune, possède une histoire, un patrimoine. De sorte, sa robinetterie, qui fait notamment penser aux œuvres néo-pop de Jeff Koons, invite aussi à faire le rapprochement avec la bien-nommée série I balocchi de Fantini (1978, design Davide Mercatali et Paolo Pedrizzetti), dont les manettes en pétales de fleurs semblent constituées d’un bouquet de ballons gonflés à l’hélium (photo ci-dessus).
Le traitement sculptural de la céramique est aussi celui qui distingue l’iconique collection IlBagnoAlessi de Laufen (2002, design Stefano Giovannoni, photo ci-contre). Plus que jamais d’actualité (et toujours commercialisée, d’une longévité rare), ses pièces en céramique sont façonnées comme de volumineux galets, ovoïdes. Dans sa version originelle comme dans le dernier restyling opéré pour ses vingt ans (lequel met en œuvre de la SaphiKeramik), les flancs de la vasque figurent une coulée de barbotine, éloge du travail de la matière au même titre que Liquid.
[1] Le fauteuil Flat, de notre point de vue, adresse lui-même un clin d’œil au célèbre fauteuil Bibendum dessiné par Eileen Gray (1929).
Photo d’ouverture : de gauche à droite et de haut en bas, vasques Liquid de VitrA, Ease d’Inbani, Lalita de Globo, Spire de Flaminia, Brera de The Art Ceram et Orbe de Trone.