Traditionnellement, la convention nationale de la Fnas est l’occasion de découvrir le point de vue d’un conférencier de qualité choisi, en quelque sorte, pour mettre les pieds dans le plat. Cette année, Isabelle Mayneris*, experte retail et innovation, a fait le point sur les révolutions en cours qui impactent le commerce et les outils dont dispose le négoce pour en sortir gagnant.
Le monde change, structurellement, et les consommateurs évoluent, obligeant de s’adresser à eux autrement. Hier, explique Isabelle Mayneris, ils faisaient confiance aux marques, aux institutions, à l’expertise en général (celle du médecin, de l’instituteur…). C’est de moins en moins le cas aujourd’hui, les connexions étant devenues émotionnelles : chacun fait confiance à qui est et pense comme lui, se basant, par exemple, sur les avis émis sur les plateformes digitales. « Les gens veulent savoir, ils veulent de la sincérité, ils veulent de la responsabilité, ils veulent de la vérité. » Et de la transparence, indispensable pour assurer une relation de confiance.
Les artisans sont des internautes comme les autres
Le mouvement est profond, emporté par le digital. On accède à l’information et à l’achat de plus en plus souvent par le mobile (les individus sont en contact avec leur téléphone mobile 2 617 fois par jour, selon les données mondiales). L’e-commerce progresse toujours, ayant atteint 82 milliards d’€ en 2017, soit 8 ou 9 % du commerce global (selon la Fevad). Ce qui veut dire, croit utile de préciser Isabelle Mayneris, que plus de 90 % du commerce se fait dans les magasins… Les artisans, qui sont des internautes comme les autres, sont eux aussi de plus en plus nombreux à se connecter dans le cadre de leur activité professionnelle (40 % utilisent leur téléphone mobile tous les jours sur leur chantier, selon le magazine Négoce).
L’e-commerce progresse mais pas sur le projet
Dans le bricolage, l’e-commerce représente 1,3 milliard d’€, soit 5,2 % du marché, réalisés pour 60 % par des sites généralistes (Cdiscount.com, Amazon.fr…) et pour 40 % par des sites spécialisés (Manomano.fr, Bricoprive.com…). Toutefois, si les pure-players sont une menace pour le négoce, c’est avant tout parce qu’ils modifient les règles du marché (transparence sur les prix notamment). Car ils ne touchent pas, ou très peu, au projet – 1 % seulement –, lequel demande un accompagnement. Ils sont même peu actifs dans l’univers de la salle de bains, puisque 1 % des ventes de produits de plomberie sanitaire sont passés par l’e-commerce en 2016 selon Unibal-Inoha, et devraient atteindre 9 % en 2020.
L’ubérisation via l’intermédiation
Si 43 % des entreprises actives dans le bâtiment sont des entreprises unipersonnelles et 36 % des sociétés de plus d’un salarié, 21 % sont des autoentreprises – soit 320 000 sociétés, créées par des chômeurs (28 %) et des salariés du privé (38 %). En face, on compte 150 plateformes de mise en relation, liées ou non à des enseignes du négoce ou de la GSB, par lesquelles transitent 11 % des affaires. Leur coût s’élève, pour l’artisan à 20 à 25 € par contact ou 2 % du chiffre d’affaires. Toutefois, 40 % des utilisateurs de ces plateformes abandonnent leur projet en cours de route, tandis que 50 % de ceux qui sont allés au bout ne sont pas satisfaits, qu’ils aient été mal conseillés ou mal accompagnés… Le business est là, insiste Isabelle Mayneris, dans ces 40 % qui renoncent avant d’avoir commencé.
Les points cardinaux du retail, à appliquer au négoce
Comment, donc, résister à l’ubérisation du marché ? Isabelle Mayneris fournit des pistes et des exemples.
♦ Assurer la fluidité, la rapidité, la praticité
Géolocaliser l’internaute, permettre de trouver le produit en agence, faciliter le passage de la commande, assurer le click & collect et la livraison sur chantier, organiser la récupération de la commande 24 heures sur 24 (consignes), développer l’accueil et améliorer la gestion de l’attente (par exemple en enregistrant le client à son arrivée et en le géolocalisant dans le point de vente afin que, mobile, il n’ait pas l’impression d’attendre…
♦ Avoir une approche projet
Il ne s’agit plus de vendre des produits mais des projets, ce dont l’e-commerce est incapable mais que la GSB est en train de réussir (voir, par exemple, la nouvelle signature de Leroymerlin et GoodHome de Kingfisher). « Ce n’est plus du cross canal, mais du no canal », remarque Isabelle Mayneris, dans le sens où tout se passe en magasin, où l’on est capable de réaliser un devis, de prendre la responsabilité de l’assurance… Exemples : l’Appart de Leroy Merlin, nouveau format en test, qui est un véritable éco-système, prenant le client en charge de A à Z, ou Saint-Maclou pour lequel la pose n’est plus un service mais un métier.
♦ Ne pas oublier le produit
Donner la possibilité de voir, d’essayer (produits en eau ou branchés), de toucher… Proposer des échantillons, étendre l’offre, pratiquer la transparence des prix : « On ne peut plus être opaque sur le prix »…
♦ Miser sur le vendeur, la relation
C’est le vendeur augmenté qui, tablette en main, est en mesure de mieux répondre aux questions et aux attentes… Il s’agit de faire du magasin « le lieu du lien », avec des zones de convivialité et de partage, d’imaginer des relations humaines différentes, de mettre en scène la relation client, de créer des communautés dont les pros sont les ambassadeurs (Outiz, Point.P avec Générations Artisans, d’accompagner et de faire grandir (ProBox et #UtileAuxPros). La formation est au centre de l’avenir du négoce.
♦ Opter pour une stratégie de formats
On va « vers une fragmentation des formats, pour répondre à la fragmentation des usages. » L’arrivée du digital a obligé les distributeurs à repenser le maillage, le rôle des agences et les formats des magasins (drive, consignes, stocks, showroom, hub projet, lieux de vie, expérience client, logistique…). Le digital et le monde réel ne doivent pas être opposés, « les vrais grands acteurs seront forcément phygitaux, le futur sera forcément dans la fusion des deux mondes. » Derrière la stratégie de formats, c’est tout le modèle commercial et opérationnel qui est impacté : conception, design, surface et emplacement ; offre, cross canal, stock, supply chain et logistique ; services, mais aussi nombre, profil et expertise des vendeurs ; marketing communautaire et écosystème de partenaires.
Les freins et opportunités à la digitalisation du négoce
Ce qui fait la force du négoce, notamment l’importance du point de vente et du vendeur dans la relation client, est aussi ce qui freine sa digitalisation. De même que la résistance des clients (effets de la pyramide des âges) et l’ergonomie faible du digital, auquel s’ajoute le modèle de pricing des indépendants. Toutefois, la digitalisation assure un meilleur service au client et des gains de productivité qui libèrent le temps de vente, est un levier d’acquisition et de fidélisation du client, et offre la possibilité de nouveaux services (marketplace, intermédiation, formation). En cela, elle est aussi une opportunité.
*Isabelle Mayneris est experte retail et innovation chez Diamart Consulting et formatrice agréée Cegos Innovation et méthodes agiles. Ses missions : transformer les enseignes à l’heure de l’e-commerce, créer de nouvelles expériences d’achat, accompagner les marques dans leur route « to market ».