A l’orée des années 1960, Antonia Campi donne une orientation nouvelle à sa carrière. L’artiste, qui s’est déjà fait un nom grâce à un décor monumental pour la IXe Triennale de Milan [1] et à ses extravagantes créations en céramique destinées à la table, met à profit sa connaissance du matériau et son sens du dessin pour créer des séries de salles de bains dont la singularité attire aujourd’hui la convoitise des collectionneurs.
Lors des belles ventes aux enchères transalpines, il n’est pas rare de voir passer des œuvres d’Antonia Campi (1921-2019), figure de l’art de la céramique du XXe siècle [2], et accessoirement l’une des seules femmes reconnue comme telle. Sa production, prolifique durant les Trente Glorieuses, comprend toutes sortes d’objets édités en séries plus ou moins limitées, ainsi que des pièces uniques à décor peint : vases et porte-parapluie constellés de trous (en photo ci-dessous [3]), pieds de lampe inspirés librement de coquillages, coupes ou service à thé en forme d’oiseaux stylisés, chandeliers aux ramifications tortueuses…

Par son esthétique particulière, Torena se place à la jonction entre l’art et le design, à un moment charnière de la carrière d’Antonia Campi, laquelle s’étendra sur plus de 60 ans, couronnée par un Composso d’Oro, en 2011. La céramiste, lassée de voir ses créations à succès copiées dans l’univers des arts de la table et des objets de fantaisie, se tourne vers le design industriel et la production sanitaire, territoire encore vierge… Imaginée pour SCI (Societa Ceramica Italiana, basée à Laveno), cette série inspirée par la nature perdurera jusqu’en 1975, à la faveur de rachats successifs, dans les catalogues de Richard Ginori puis Pozzi Ginori dont Antonia Campi, entrée chez CSI comme ouvrière, assurera la direction artistique. D’emblée, l’on remarque les incisions à la surface du matériau : la trace du geste, qu’une machine ne saurait reproduire. Les fines lignes blanches suivent les courbes des éléments, en contraste sur l’émail qui peut être bleu, vert ou couleur café, évoquant les lamelles serrées d’un champignon, leur rayonnement s’évasant depuis le pied. Elles subliment tout particulièrement le lavabo, mais pas seulement.


Photo d’ouverture : ©Pandolfini Casa d’Aste, Florence. Estimé entre 600 et 800 euros, lot n°106 de la vente Design e Arti Decorative del’900 du 06/07/2023, comprenant trois pièces sanitaires de la série Torena (c.1960) dessinée par Antonia Campi et produite par SCI Laveno.
[1] En 1951, Paysage, la frise en céramique qu’elle réalise pour la IXe Triennale de Milan s’est fait remarquer, exposée tout en haut de l’escalier d’honneur du Palazzo d’Arte, mise en valeur par une spectaculaire installation lumineuse signée Lucio Fontana, formée de boucles géantes de tube néon.
[2] Une rétrospective lui a été consacrée en 1998 par le Musée international du design céramique de Laveno (Lombardie), qui a donné lieu à la publication d’un catalogue, rédigé par Enzo Biffi Gentili, aux Editions Électa : « Antonia Campi : Antologia ceramica 1947-1997 ».
[3] Lot N° 1021, Porte-parapluie C 33, pour S.C.I. (1949), cachet «Lavenia made in Italy 11.54», adjugé 1 200 euros, Boetto, Gênes, le 25/10/2017 (© Boetto).
[4] Lot N° 1334, ensemble d’appareils sanitaires de la serie Torena (1959), vente Design e Arti Decorative del Novecento, Boetto, Gênes, le 26/10/2016.
[5] Ces trois axes caractérisent son œuvre, dont le catalogue raisonné, rédigé par Anty Pansera, est paru en 2008 chez SilvanaEditoriale sous ce titre : Antonia Campi – Creatività, forma e funzione.
[6] Lot 7, lavabo de la série Conchiglia (1966), Ginori, vente 306, Design, Day 1, Capitolium Art, Brescia, le 26 novembre 2020 (© Capitolium Art).



















